Masques vénitiens : dans les coulisses de la création

Des masques vénitiens, chacun en possède un en mémoire. Un loup ou une colombine, blanc ou coloré, souriant ou inquiétant. Avec plumes de paon ou paillettes, en cuir, en papier mâché ou en porcelaine… Derrière les masques du carnaval, une histoire ancienne revisitée dans les années 1980 et une tradition séculaire perpétuée aujourd’hui par des artisans vénitiens.
L’enseigne familiale Ca Macana a accepté de travailler avec nous et nous ouvre les coulisses de la fabrication. 

Une brève histoire du carnaval de Venise

Le carnaval vénitien au Moyen-Age

Fête des fous, exutoire, renversement des hiérarchies … Le carnaval est depuis des siècles un moment particulier, à la sortie de l’hiver. Cela n’est pas sans rappeler les origines d’Halloween dont nous avons déjà parlé par ailleurs.

A Venise, le plus ancien édit conservé mentionnant le carnaval date de la fin du XIe siècle (1094). Mais on pense que des manifestations carnavalesques existaient déjà auparavant. Le port de masques, l’inversion des hiérarchies sociales, les festivités culinaires etc. sont des manifestations observées depuis l’Antiquité, et voire encore avant. 

Il s’agit souvent de fêter le retour de la lumière et la fin de l’hiver grâce à une nourriture riche (Mardi Gras prend ainsi son sens littéral), frite, joyeuse… Rappelons à cette occasion que Carnaval signifie littéralement sans viande… Et ouvre ainsi la période chrétienne du Carême ( les quarante jours avant Pâques, pendant lesquels les Chrétiens privilégient une chère maigre et observent des périodes de jeûne). 

Mais pour ce qui est du Carnaval de Venise qui nous occupe, au Moyen-Âge, les festivités et les libations peuvent durer plusieurs semaines. Et le déguisement est de mise. Le travestissement permettant de bafouer l’ordre établi sans crainte de représailles et de préserver l’anonymat des participants.

Le carnaval de Venise à l’époque baroque

A partir du XVIème siècle, la période des festivités s’allonge encore… Théâtre et musique se joignent à la fête. La commedia dell’arte, apparue dans la seconde moitié du XVIe siècle donne naissance aux personnages célèbres qui façonneront l’imaginaire du Carnaval et marquent, de nos jours encore, la physionomie des masques. Avec Arlequin, Polichinelle, le médecin ou encore Colombine. 

Au XVIIIe siècle, période considérée comme le dernier âge d’or de la République de Venise, les fêtes et célébrations, rythment la vie de la cité et attirent curieux et attirent des amateurs de toute l’Europe.
Ces festivités, dont le Carnaval est le plus emblématique, à côté des bals, fêtes, parades, défilés dans les rues et autres représentations à l’Opéra, participent à la mise en scène politique et religieuse de la Sérenissime et de ses classes dirigeantes.

A cette époque, les Vénitiens pendant plusieurs mois, revêtent la bauta. (A prononcer “baouta”). Ce costume typique comprend une grande cape noire agrémentée d’un capuchon, cachant les cheveux, et d’un tricorne noir à l’allure caractéristique.

Le masque, qui couvre le visage est blanc, et prognathe … pour permettre de boire et manger sans l’ôter, afin de préserver son anonymat.

Pietro Longhi, Il ridotto, 1740. Crédits photo : Bergamo, Accademia Carrara

Le carnaval de Venise à l’époque contemporaine : un incontournable remis au goût du jour dans les années 1980

Au XIXe siècle, le Carnaval de Venise perd de son faste et de sa splendeur, au fur et à mesure que la cité des Doges perd en influence et en Indépendance. Les peintres eux-mêmes, longtemps attirés par les scènes de fêtes et de Carnaval, commencent à s’intéresser à Venise sous un angle nouveau. Celui de la lumière et de la représentation du ciel et des canaux.

Il faudra attendre les années 1960 et le développement du tourisme (de masse) dans la cité des Doges pour que la mémoire de la tradition carnavalesque revienne sur le devant de la scène. Il s’agissait alors, de “ressusciter une fête urbaine marquée par les éclats baroques du XVIIe siècle tout tout en l’associant aux souvenirs de Vivaldi, de Pietro Longhi et de Goldoni, contemporains du siècle des Lumières” (Gilles Bertrand).

Le nouveau carnaval de Venise fut recréé par le directeur du festival international de théâtre de la ville en 1980. Cette manifestation connait d’emblée le succès et contribue à la renaissance de l’artisanat vénitien autour de la fabrication des costumes et des masques.

Quels sont les principaux masques du carnaval de Venise ?

La bauta : le masque vénitien plus emblématique

La bauta, évoquée plus haut rappelle les costumes de l’âge baroque. Il masque l’intégralité du visage et des cheveux. Regardez-le de profil, il  Son origine est simple : il s’agissait de dissimuler complètement l’identité de celui ou celle qui le portait… tout en permettant les libations.

La moretta : le masque vénitiens féminin le plus connu

La moretta couvre complètement le visage de la femme qui le porte. Elle s’accroche en général avec un bouton que l’on serre entre les dents.

Elle se porte en général avec une voilette. Un exemple par .

Le loup : le symbole du bal masqué

Le loup pouvait s’accrocher directement sur la tête ou être maintenu par une tige. Monochrome ou coloré, nu ou garni de plume (de paon la plupart du temps), c’est un demi-masque. Il ne couvre que le haut du visage il avait pour principal objectif de garantir l’anonymat de celle qui le portait. En italien, on le nomme “Colombine”, en référence au personnage de théâtre éponyme.

Le gnagna ou la version féline du loup

Le demi-masque se décline en “chat”. Il s’appelle alors gnagna. Vous en trouverez un exemple petit modèle ici.

L’arlequin

On l’a dit, les figures du Carnaval de Venise sont indissociables des personnages de la commedia dell’arte. Arlequin, le valet facétieux aux losanges colorés a traversé les siècles et continue des symboliser le déguisement.

Le médecin : un long nez …

… à garnir d’épices ou d’herbes pour protéger le médecin des miasmes et autres maladies portées par les malades. Le personnage est lui aussi l’un des plus connus de la Commedia dell’arte.

 Le masque vénitien le plus grimaçant : pantalon ou le méchant marchand

Autre personnage de théâtre dont le nom est resté célèbre, Pantalon a légué au Carnaval de Venise un masque aux caractéristiques bien reconnaissables. Long nez, visage buriné, et expression triste ou angoissante…  

Le masque de jolly

Le jolly est l’équivalent du bouffon médiéval, du fou. Il rappelle aussi le costume du joker anglais… Il est souvent représenté avec sa coiffe multicolore et ses grelots destinés à faire rire autant qu’à prévenir de sa présence.

La bauta, incluant ici le tricorne

Le jolly ou bouffon

Comment sont fabriqués les masques vénitiens ?

Des masques vénitiens en cuir, en céramique mais surtout en papier mâché

De nos jours, comme dans l’histoire du Carnaval de Venise, on trouve des masques de différentes factures. Mais la plupart sont fabriqués en papier mâché et peints et décorés à la main.

La maison Ca Macana, qui nous a fait l’honneur d’accepter de travailler avec nous pour ce qui est des masques pour enfants, nous emmène dans les coulisses de la création de ses modèles. 

Créée à Venise en 1984, elle expose en détail les différentes étapes de fabrication de ses produits :

sur son site d’abord, où les plus motivés pourront également s’inscrire à un atelier de formation à la création de masques ;

– sur son compte instagram ensuite.

La fabrication des masques vénitiens commence par un modelage dans l’argile, que l’artisan présente comme la partie la plus créative du processus. Selon la complexité souhaitée, cette étape peut prendre plusieurs semaine.

Une fois le modèle achevé, l’artisan fabrique un moule en plâtre sur lequel seront formés tous les masques de la série.

Pour chaque masque, le moule est recouvert de plusieurs couches de papier (en feuilles fines, enduites de colle, d’algues et d’eau). Cette étape est réalisée entièrement à la main.

Le masque doit ensuite séché avant d’être découpé, enduit et enfin peint ou décoré.

De quoi expliquer que chaque masque est unique et que sa fabrication prend du temps…

Pour aller plus loin

Gilles Bertrand, Histoire du Carnaval de Venise

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